Un certain nombre de travaux ont été effectués à propos des Fourmis des bois et particulièrement sur leur mode de dispersion, ainsi que les relations qui peuvent exister entre les différents nids.

1) Le mode de dispersion.

Lors de l'essaimage, les nids de Fourmis rousses permettent l'envol des sexuées.

La reproduction a lieu après le vol nuptial sur des places d'accouplement. Il existe une alternative à cette méthode. Des nids mixtes produisent à la fois des mâles et des femelles. Il n'est alors pas rare d'observer des accouplements à la surface de la fourmilière. Les femelles regagnent ensuite l'intérieur du nid sans avoir couru le risque du vol nuptial. L'inconvénient de cette reproduction est d'ordre génétique du fait de l'accouplement entre frère et soeur.

Plus couramment, la femelle une fois fécondée se débarrasse de ces ailes et part à la recherche d'un site propice à la fondation d'une nouvelle colonie. Le parasitisme social temporaire est souvent utilisé par les jeunes reines. Celles-ci usurpent une société d'une autre espèce en prenant la place de la reine. Les ouvrières trompées vont permettre la naissance de la colonie jusqu'à ce que les véritables ouvrières se développent.

Les facteurs du milieu sont également déterminant pour le bon développement d'une colonie. La nature du sous-sol est importante. Une humidité trop forte par exemple s'avère peu favorable. Les Fourmis doivent trouver à proximité du nid les éléments nécessaires à la construction du dôme (aiguilles, brindilles, tourbe).

En général, les nids débutent à proximité d'une souche pouvant servir de base à l'édifice.

L'ensoleillement du dôme est le plus souvent un facteur déterminant. La majorité des espèces (exception faite des nids très populeux de Formica polyctena) nécessite un emplacement orienté à l'Est ou au Sud-Est et ne supportent pas l'ombre à l'intérieur de la forêt (CHERIX 1991).

Un monticule est bien plus qu'un empilement de terre. Un des rôles du dôme, en dehors de la protection de la société, consiste en une régulation thermique hiver comme été. Ils sont structurés de manière à élever la température de leurs habitantes. Leur couche externe croûteuse réduit les pertes de chaleur et leur grande surface leur permet de capter plus d'énergie solaire. La majorité des espèces ont besoin d'un taux d'humidité à l'intérieur du nid supérieur à celui de l'air ambiant; exposée à de l'air sec, elles meurent en quelques heures. Les monticules maintiennent l'humidité de l'air et du sol à des niveaux tolérables.

Les Fourmis sont des animaux poïkilothermes, leur activité dépend de la température ambiante. Le soleil réchauffe le sommet de la fourmilière au sortir de l'hiver et les ouvrières âgées, qui passent la mauvaise saison proches de la surface, sortent les premières pour prendre un bain de soleil. Cela va leur apporter de l'énergie. Elles iront ensuite réveiller le reste de la fourmilière. C'est le réveil printanier.

La durée du réveil dépend des conditions atmosphériques. Ensuite, les ouvrières reprennent leurs activités saisonnières de chasse, construction, élevage...

A la faveur d'une quinzaine de jours ensoleillés à la mi-février, j'ai pu observer le réveil d'une trentaine de nids. La température était alors d'environ 12°c au milieu de l'après-midi.

Les nids les mieux orientés se réveillent plus tôt que d'autres restant dans l'ombre de la forêt. Ces colonies vont prendre de l'avance sur les autres et effectuer les premiers travaux nécessaires avant la chasse (réparation de la partie supérieure du nid endommagé pendant l'hiver). Très peu de nids sortent indemnes de l'hiver. En plus des intempéries, des animaux comme les blaireaux ou les pics, très présents sur le site, creusent les dômes à la recherche de nourriture.

A l'extrême, lorsque le nid est trop endommagé pendant l'hiver, les Fourmis trouvent un nouveau site à quelques mètres de l'ancien et le reconstruisent complètement en utilisant les anciens matériaux et de nouveaux.

D'autres facteurs comme les sources de nourriture et l'enneigement influencent également la distribution des nids (CHERIX 1980). La neige cette année a été présente sur le Massif pendant un mois entre Décembre 1996 et Janvier 1997 sans discontinuer. Cela a pu aplatir quelques fourmilières. Le rôle de ce facteur est cependant minime dans cette région.

 

2) Les relations entre les nids

La structure sociale adoptée par chaque colonie conditionne en grande partie la distribution de celle-ci. Les espèces monogynes (une seule reine) ne forment et n'utilisent qu'un seul dôme. Elles sont alors très exposées lorsque celui-ci est attaqué par des prédateurs ou bien par une autre colonie de Fourmis entrant en compétition pour la domination du site.

Les sociétés polygines (plusieurs reines) monocaliques (un seul nid) constituent une forme d'organisation plus stable. La colonie ne disparaît pas forcément avec la mort de la reine fondatrice.

Les société polygines et polycaliques (plusieurs nids) sont les formes les plus stables des systèmes d'organisation connus chez les Fourmis aujourd'hui. Il n'y a pas de rapport hostiles entre les fourmilières qui composent ces sociétés. Une hiérarchie s'établie entre les nids. Des échanges communautaires ont lieu grâce à des pistes qui relient les différents nids.

Ces colonies présentent une grande stabilité dans le temps et sont de ce fait d'excellents bio-indicateurs des conditions environnementales. Les espèces polycaliques, avec la multiplication des nids par bourgeonnement donnent une distribution en agrégats des fourmilières.

2) La biologie de ces espèces

 

2-1) Formica rufa

Fourmi rousse - Par la taille et la coloration, cette espèce ressemble à plusieurs autres espèces, mais c'est surtout avec Formica polyctena qu'on peut la confondre. Elle peuple les forêts, où elle construit un nid souterrain surmonté d'un grand monticule constitué de matériaux plus ou moins fins. La hauteur moyenne d'une telle fourmilière est d'environ 50 cm ou plus, la circonférence atteint plusieurs mètres. Les nids sont pour la plupart monogynes. Cette espèce peuple principalement les forêts de conifères (épicéas) ou de chênes des basses régions pré-montagneuses. Elle se rencontre de 400 à 1200 m avec un preferendum à 900 m (CHERIX 1979). On la trouve souvent dans les endroits humides et ombragés.

L'essaimage débute dès le mois de mai. La femelle est fécondée lors du vol nuptial, puis elle perd ses ailes et elle fonde une nouvelle colonie. N'étant pas à même d'assurer le nourrissage des premières larves, la femelle a besoin dès le départ d'ouvrières pour la seconder. Lors de la fondation de la nouvelle colonie, elle est donc assistée par des ouvrières de son espèce ou d'une autre.

Tout se passe simplement lorsque la femelle s'introduit dans le nid de son espèce et qu'elle est acceptée. Mais les choses se compliquent si la femelle élit domicile dans le nid d'une autre espèce, généralement de Formica fusca . Lorsque par hasard le nid ne comporte pas de reine, elle pénètre facilement et sera plus ou moins acceptée. Mais la plupart du temps, le nid est déjà doté d'une reine. Il y a combat, et l'intruse, plus grosse et plus vaillante, tue la reine en place, prend sa succession et commence à pondre. Les ouvrières habitantes d'origine du nid, élèvent ainsi pendant un certain temps à la fois la progéniture de leur ancienne reine et celle de la nouvelle. Petit à petit, leur nombre décroît jusqu'au moment où elles disparaissent totalement et où la fourmilière s'est transformée en colonie de Formica rufa . On trouve parfois plusieurs nids à proximité immédiate les uns des autres. Il s'agit de nids secondaires issus d'un nid devenu trop grand.
Ces Fourmis se nourrissent pour une part d'insectes, pour une autre de la miellée de pucerons et de cochenilles, ainsi que des sucs sucrés des fruits et d'arbres ainsi que de graines oléagineuses. Lorsqu'elle chasse, l'ouvrière utilise ses mandibules, mais aussi la glande à venin qui est reliée à l'extrémité de son abdomen. Son effet est connu de tous. C'est à tort qu'on dit que la Fourmi pique. Elle commence en réalité par mordre la peau au moyen de ses puissantes mandibules, puis elle avance rapidement son abdomen, versant dans la plaie la sécrétion brûlante issue de la glande et composée pour l'essentiel d'acide formique. Formica rufa ainsi que les espèces apparentées du genre Formica jouent un rôle fondamental pour la forêt, car de nombreux ravageurs en sont la proie. C'est pourquoi ces espèces sont protégées et qu'il est interdit de récolter leurs pupes. On les introduit également artificiellement dans les forêts.

Formica rufa peuple une grande partie de l'Europe : on la trouve des Pyrénées à la Normandie et à la Suède ; elle vit également en Sibérie, dans le Caucase et en Amérique du Nord.

2-2) Formica polyctena

Fourmi rousse des forêts. - Elle est de taille légèrement inférieure à Formica rufa , à qui par ailleurs elle ressemble beaucoup, tant par la couleur que par l'aspect général, au point qu'on la considérait autrefois comme une simple variété de Formica rufa . Le critère de différenciation essentiel est la présence ou l'absence de poils sur la tête, le thorax et l'écaille.

Chez Formica polyctena , ces parties sont glabres, tandis qu'elles sont recouvertes de nombreux poils chez Formica rufa . Notons qu'il est impossible de différencier ces deux espèces à l'oeil nu.

Formica polyctena vit principalement dans les forêts de conifères, mais on la rencontre aussi dans les forêts de feuillus. Son mode de vie est assez proche de celui de Formica rufa , quoiqu'on observe tout de même quelques différences de comportement. Elle construit un nid combiné : une grande partie se trouve à l'air libre, autour d'une souche ou d'un tronc, mais la base du nid est souterraine. Les matériaux utilisés pour construire la fourmilière sont en première ligne des aiguilles, éventuellement aussi des brindilles. Ce tas d'aiguilles est essentiel à la vie de Fourmis car il emmagasine la chaleur. La fourmilière peut atteindre des proportions considérables, avec plusieurs mètres de circonférence.

Comme chez la plupart des Fourmis, on trouve chez cette espèce trois castes qui se distinguent par la morphologie, la physiologie et la fonction au sein de la colonie. Les plus nombreuses sont les ouvrières ; les femelles et les mâles sont en nombre sensiblement moins élevé . Les ouvrières sont toujours aptères ; il s'agit en fait de femelles aux organes de reproduction atrophiés. Dans la plupart des cas, le nid est polygyne, c'est à dire qu'il s'y trouve un grand nombre de reines (plusieurs milliers) . Les nids monogynes (où ne règne qu'une reine) sont très rares. La jeune femelle est d'abord dotée de deux paires d'ailes légèrement fumées dont elle se débarrasse après l'accouplement. Avant le début de l'hiver, les Fourmis s'enfoncent de 50 cm à 2 mètres dans le sol. Rassemblées en petits groupes, elles s'immobilisent dans les loges et les galeries. Dès les premiers jours de mars, lorsque le soleil réchauffe la fourmilière, les ouvrières et les reines remontent à la surface. Elles se réchauffent, partent en quête de nourriture, s'occupent de la construction du nid. Rapidement, les femelles descendent sous terre et commencent à pondre. Des ouvrières emportent les ufs entre leurs mandibules et les lèchent. Les ufs humides sont collés de manière à former des paquets que les ouvrières transportent d'un lieu à l'autre afin de les laisser à l'endroit où règne momentanément les conditions de chaleur et d'humidité les plus propices à leur développement .

Les larves ne sont pas en mesure de pourvoir elles-mêmes à leurs besoins et sont donc totalement tributaires des soins que leur prodiguent les ouvrières. Celles-ci les nourrissent soit de sucs contenus dans leur sac infrabuccal soit d'une sécrétion produite par leurs glandes labiales. Les larves nourries avec cette sécrétion produisent après la nymphose des Fourmis sexuées ; celles qui ont reçu les sucs donnent des ouvrières. Assez rapidement, la larve s'enferme dans un cocon de soie et s'y nymphose. Les cocons des individus sexués sont toujours un peu plus grands que les cocons d'ouvrières. Ces cocons sont souvent appelés à tort << oeufs de Fourmis >> .

Les soins prodigués au couvain par les ouvrières ne se limitent pas au nourrissage. Les cocons sont inlassablement nettoyés et transportés eux aussi aux endroits les plus favorables à leur développement. Par la suite, les ouvrières aident leurs jeunes congénères à sortir du cocon. Après l'éclosion, elles les nettoient et les nourrissent encore durant six jours environ, jusqu'à ce qu'elles soient à même de prendre part aux travaux du nid.

Les ouvrières ne nourrissent pas seulement les futures habitantes de la fourmilière, elles prennent également soin de la reine, alimentent les mâles et se nourrissent entre elles. L'échange de nourriture se déroule suivant des règles précises. La pourvoyeuse régurgite une goutte dont s'empare avidement une solliciteuse qui n'en absorbe pas la totalité mais en dispense une partie à une congénère, de la même façon qu'elle-même a été nourrie.

Il arrive que F. polyctena construise sur une surface assez réduite plusieurs grands nids résultant de la partition d'une seule colonie dont le nid d'origine n'était plus suffisant pour assurer les conditions de vie nécessaires. Un groupe d'ouvrières quitte alors la fourmilière, cherche un endroit favorable à proximité et pose les fondations du nouveau nid. Pendant un certain temps, ces nids secondaires sont reliés entre eux par les chemins.
F. polyctena se nourrit de sucs et d'insectes divers : Insectes nuisibles des forêts, mais aussi nombreux Insectes utiles, tels que les Ichneumons et les Brachonidés. Comparée à F. rufa, cette espèce est plus agressive, c'est pourquoi elle est aussi plus appréciée en sylviculture. Un grand nombre d'ouvrières se rassemble sur la proie. Les besoins en nourriture d'une grande fourmilière sont considérables. Actuellement, on introduit artificiellement F. polyctena dans les forêts, dans le cadre de programmes de lutte biologique. Pour ce faire, on prélève une partie d'un grand nid, comprenant aiguilles de pin et brindilles, avec les ouvrières et quelques douzaines de reines afin d'assurer le développement de la colonie créée artificiellement.

F. polyctena se rencontre dans le centre de l'Europe et dans les régions tempérées d'Asie.Elle ne se rencontre qu'à basse altitude . De même que d'autres Fourmis, c'est une espèce protégée dans de nombreux pays.

2-3) Serviformica fusca

Fourmi noir cendré. - Son corps est entièrement recouvert de poils courts. C'est l'une des espèces de Fourmis les plus nombreuses, qui vit de préférence dans les endroits ombragés. Elle bâtit son nid principalement dans le sol, parfois sous les pierres, souvent aussi dans une vieille souche ou sous l'écorce.

Lorsqu'elles se trouvent en un lieu dépourvu de pierres, ces Fourmis construisent une fourmilière. L'espèce essaime de juin à août, et la femelle hiverne, et pond au printemps. Entre la ponte et l'éclosion des premières ouvrières, il s'écoule environ 6 semaines. Plusieurs femelles peuvent se regrouper pour fonder un nid. Lorsque les premières ouvrières apparaissent, il n'y a pas de combat, comme cela survient fréquemment chez les autres espèces. Ainsi, ces colonies ne sont pas obligatoirement monogynes : il est fréquent que plusieurs reines cohabitent en son sein.

Il n'est pas rare non plus de rencontrer dans le nid de cette espèce ou dans ses abords la minuscule Fourmi solenopsis fugax , dont le nid est raccordé à celui de sa voisine par d'étroites galeries lui servant à chasser . Lorsque solenopsis fugax réussit à s'emparer de la progéniture de sa voisine, elle s'enfuit par ces étroites galeries dans lesquelles Formica fusca , beaucoup plus grosse, ne peut la poursuivre. Mais Formica fusca , elle aussi, chasse diverses petites fourmis ainsi que leurs larves et leurs pupes. Elle est également friande de la miellée sécrétée par les pucerons et les cochenilles.

Les nids de Formica fusca sont fréquemment la proie d'autres espèces qui utilisent ses ouvrières pour fonder leurs colonies. En outre, ils sont régulièrement pillées lors des expéditions de fourmis amazones ou de fourmis sanguines qui viennent y chercher de nouvelles esclaves. Les ouvrières de Formica fusca peuvent vivre huit années.

Cette espèce est répandue dans toute l'Europe (dans les Alpes, on la trouve jusqu'à 3 000 m d'altitude (preferendum situé à 700m), dans le sud de l'Europe, elle vit dans les montagnes), ainsi qu'en Amérique du Nord.